ALLOCUTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, MONSIEUR MARTTI AHTISAARI,
AU DÎNER OFFERT EN L'HONNEUR DE SON EXCELLENCE
MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ET DE MADAME JACQUES CHIRAC,
À HELSINKI, LE 10 MAI 1999

Cela m'a été, aujourd'hui, une joie et un privilège de vous souhaiter, Monsieur le Président, à vous ainsi qu'à votre épouse, la bienvenue en Finlande. Nous avons eu l'occasion d'aborder nombre de questions brûlantes de politique internationale. La situation est déjà très grave à cause de la crise du Kosovo. Votre visite tombe aussi une période pleine de grands défis pour la Finlande. Comme vous le savez, nous nous préparons à assumer, à partir du début du mois de juillet, la présidence de l'Union européenne, et cela pour la première fois au cours de notre histoire.

Les constitutions de nos deux pays ont été écrites dans l'esprit de la théorie politique de Montesquieu. Pour nous, Finlandais, la France est une puissante source d'inspiration des valeurs, de l'histoire et de la civilisation européennes. Vos philosophes ont jeté les bases des valeurs paneuropéennes, consignées, entre autres, dans la Charte de Paris pour une Nouvelle Europe, adoptée lors de la Conférence au sommet de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. La démocratie, le respect des droits de l'homme, le principe de l'Etat de droit et les libertés individuelles font partie de nos valeurs communes.

Le respect de ces principes ne sera jamais une évidence.

Les événements bouleversants dans les Balkans ont été un cauchemar tout le long des années 90. La crise du Kosovo était prévisible, mais aucune négociation ne pouvait décrisper cette évolution menaçante. La communauté internationale devait fortement intervenir dans le cours des événements. La persécution éthnique devra être stoppée, les réfugiés devront pouvoir revenir, en toute sécurité, dans leur pays natal, et c'est avec le soutien de la communauté internationale qu'il faudra créer les conditions durables pour le rétablissement d'une vie normale au Kosovo.

Toutefois, le rétablissement de la paix au Kosovo ne suffira pas. La communauté internationale, en coopération avec les pays de la région, doit élaborer un plan d'ensemble pour entamer un développement pacifique à long terme dans le Sud-Est de l'Europe. Les préparatifs de ce processus ont déjà commencé. Ils devront se dérouler essentiellement sous la responsabilité de l'Union européenne.

La Finlande assumera prochainement la présidence de l'Union européenne. Monsieur le Président, qu'est-ce qui serait plus convenable que votre visite en Finlande en ce moment-ci. Vous symbolisez l'Europe.

La consolidation économique de l'Union européenne et les nouvelles tâches, qui en résulteront, font que l'importance politique de l'Union s'accroîtra, mais aussi parce que l'Union s'élargira. L'élargissement stabilisera sa position en tant que pierre angulaire de la prospérité et de la sécurité ainsi qu'en tant que locomotive du développement en Europe.

La Finlande juge important que l'élargissement progresse et que tous les pays candidats soient soutenus. Il faut s'assurer de ce que le Conseil européen de Helsinki renforcera la confiance des pays candidats dans leurs possibilités d'adhérer à l'Union européenne.

En même temps, l'Union européenne doit se renouveler.

L'Union et ses Etats membres devront se sentir responsables de leurs citoyens et de l'ensemble de l'Europe et faire montre de leadership, à l'échelle mondiale. La transparence, la justice et une existence économiquement et politiquement assurée sont indispensables à nous tous.

Sur ce point, je suis convaincu, nous pouvons nous accorder.

Durant sa présidence, la Finlande aura une responsabilité particulière de rechercher des solutions constructives. Nous avons besoin du soutien de tous les Etats membres. Nous comptons sur le fait que la France nous prêtera sa précieuse assistance.

La pression pour le renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union a augmenté.

La mise en place de la première stratégie politique commune de l'UE notamment pour la Russie souligne la grande importance qu'attache l'Union à notre pays voisin. Les difficultés économiques en Russie et la crise du Kosovo ont montré que l'importance de la Russie est réelle. La Russie ne devra pas être isolée ni se laisser s'isoler, mais elle devra être intégrée, d'une manière constructive, au reste de l'Europe. Il en va de même pour le système de sécurité euro-atlantique. L'initiative de la Finlande pour la dimension septentrionale soutient la réalisation de ces objectifs.

La culture française a toujours exercé une forte influence en Finlande. Au moyen âge, les étudiants finlandais étaient plus nombreux à Paris que les étudiants d'un autre pays scandinave. Les grands idéaux de la Révolution française se sont enracinés en Finlande au moment où notre pays, Grand-Duché de la Russie, était en train de créer ses institutions nationales. Notre solide société civile est née de ces bouversements. C'est grâce à ce développement que nous avons pu parvenir au rang des sociétés les plus avancées de notre continent bien que notre histoire ait connu ses moments dramatiques.

Dans les années difficiles de la guerre froide, les leaders politiques de la Finlande et de la France ont pu se mettre d'accord sur les objectifs communs pour assurer la stabilité de notre continent. Nous étions en faveur de la paix et contre la guerre. Nous étions du même bord dans les grandes questions de politique internationale.

La fin de la guerre froide était un objectif lointain. Lorsqu'il a été atteint, il y a dix ans, les rapports de nos pays ont connu un rapprochement rapide. A cet égard, le processus d'intégration a joué un rôle important. En 1995, lorsque la Finlande est entrée dans l'Union européenne, les relations de nos pays étaient arrivées à un niveau nouveau. Ce changement est survenu lors des négociations d'adhésion. La France est devenue un partenaire proche et apprécié.

La position-clé de la France en vue d'entamer et de développer la coopération européenne est devenue claire pour les Finlandais. Je voudrais, une fois de plus, revenir sur les propos historiques de Robert Schuman "Il ne s'agit plus des paroles inutiles, mais d'une action courageuse et constructive. La France a agi et les conséquences de son action pourront être immenses..."

La position de politique extérieure de la Finlande à l'époque a fait que les propos de Schuman n'ont pas aussitôt éveillé, en Finlande, une attention qu'ils auraient méritée. Avec l'adhésion de la Finlande à l'Union européenne, nous avons commencé, aussi en Finlande, à comprendre concrètement le rôle important que joue la France dans l'intégration européenne.

Aussi les Finlandais connaissent-ils déjà mieux la France dynamique d'aujourd'hui. Même les problèmes quotidiens des agriculteurs français ne sont plus une chose tout à fait inconnue aux Finlandais. Outre de célèbres coureurs automobiles finlandais de rallye et de formule 1, les Français connaissent aussi des représentants de la culture finlandaise, allant des cinéastes jusqu'à plusieurs chefs d'orchestre, chanteurs et musiciens. Je suis convaincu que Monsieur Ari Vatanen, de la présence duquel je me réjouis beaucoup, partage mon opinion.

On ne peut pas imaginer une Europe sans le respect de la pluralité et de la richesse culturelle du continent. Une intégration planétaire est déjà une réalité en matière culturelle. Elle ne devrait pas pour autant menacer l'originalité des différentes traditions. Nous ne devons pas créer des clivages entre les civilisations, mais nous devons construire un monde réuni par les civilisations. Dans un tel monde, les Finlandais et les Français se plairaient à vivre.

L'Europe est encore un continent désuni qui a perdu une partie de sa compétitivité économique. Un développement plus rapide de l'économie des Etats-Unis est un défi, non un problème.

Les Finlandais se félicitent de constater l'intérêt croissant que manifestent des entreprises et des autorités françaises pour les marchés finlandais et nord-européen.

La Finlande espère que la coopération technologique, qui intéresse nos deux pays, renforcera la compétitivité de notre continent.

La société de l'information est devenue, après les visites du Premier ministre, Monsieur Lionel Jospin, et de la ministre de la Culture, Madame Catherine Trautmann, l'un des premiers domaines de coopération entre la Finlande et la France. Nous devrions être à même de réunir, dans un esprit créatif, nos atouts majeurs dans divers secteurs.

Durant sa présidence, la Finlande entend lancer une conception d'ensemble sur les possibilités et les objectifs de la société de l'information. Le développement devra reposer sur le savoir de haut niveau et le savoir-faire innovateur, ainsi que sur l'utilisation des technologies modernes de l'information et des communications. Mais il importe également de prêter attention au contenu de la société de l'information et de reconnaître que l'homme est toujours le plus important, non les machines.

La coopération culturelle s'est fortement accrue entre nos deux pays. De nombreux événements culturels, qui seront organisés, pendant notre présidence, en coopération finlando-française un peu partout en France, en apportent une preuve tangible.

Les Finlandais se sont toujours intéressés à la langue et à la civilisation françaises, mais dans le sillage de notre entrée dans l'Union européenne, le nombre d'étudiants en français a presque triplé en quelques années. Le finnois et le suédois sont des langues officielles de l'Union européenne. Nous espérons pouvoir, en coopération avec les autorités françaises compétentes, améliorer des possibilités d'études du finnois aux universités françaises.

Notre future présidence sera, à n'en pas douter, une période qui exigera de nous beaucoup d'attention et d'efforts. Nous sommes persuadés que la coopération fondée sur une volonté commune des Etats membres offrira un très bon point départ pour relever les défis du début du prochain millénaire. Le Conseil européen de Helsinki devra nous donner de nouvelles visions pour l'avenir. C'est un grand honneur pour la Finlande que de guider l'Union européenne au nouveau millénaire.

Monsieur le Président, Madame, je lève mon verre à votre santé, au bonheur et au succès du peuple français et aux excellentes relations entre nos deux pays.